Société Française de Cardiologie
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Revue AMCVP
SFC - AMCVP Article du mois - Juillet 2020

AMCVP - Article du mois [Juillet 2020]

M.C. Iliou

Contenu de la publication

Si le concept de réadaptation cardiaque est maintenant assez ancien, les preuves scientifiques de ses bénéfices sont plus récentes et une littérature de plus en plus fournie est aujourd'hui disponible pour démontrer clairement les bénéfices d'une telle prise en charge ; la réadaptation bénéficie de recommandations internationales de grade I A sur la base de « l'evidence-based medicine » [1,2].

Réductions de mortalité cardiovasculaire de 26 % et de réhospitalisations de 18 % après SCA.

 

Preuves du bénéfice de la réadaptation cardiaque

Les preuves du bénéfice concernent en premier lieu les patients : effets favorables sur les facteurs de risque, sur les systèmes cardiovasculaire, respiratoire et musculaire, sur les capacités d'effort et de « self-management », sur la qualité de vie et le pronostic. Les bénéfices concernant les systèmes de santé sont d'ordre médicoéconomiques, souvent méconnus, y compris par les tutelles et les décideurs. Les preuves chez les coronariens sont les plus nombreuses car étudiées de longue date avec des réductions de mortalité cardiovasculaire de 26 % et réhospitalisations de 18 % [3], y compris pour les études récentes intégrant la prise en charge moderne du syndrome coronarien aigu (SCA) (angioplasties primaires, thérapeutiques antithrombotiques. . .). Les données de vie réelle sont également probantes ; ainsi, en France la prescription d'une réadaptation cardiaque dans les registres FAST-MI (2005, 2010, 2015) retrouvent une réduction de la mortalité à 1 an de 28 %, encore plus évidente chez les patients à plus haut risque [4]. De même (Fig. 1), en dehors du SCA, chez les coronariens chroniques traités médicalement ou par angioplastie ou par pontages aortocoronaires, les preuves du bénéfice de la réadaptation ont été démontrées.

Les différentes composantes de la réadaptation cardiaque chez les patients coronariens ont été rapportées et étudiées dans une méta-analyse récente [5] ; les résultats de celle-ci stratifient les bénéfices apportés par ordre décroissant sur la morbi-mortalité : exercice physique, prise en charge psychologique, éducation du patient et contrôle des facteurs de risque, nutrition, aides sociales.

Chez les patients insuffisants cardiaques, une réduction de mortalité de 12 % et des réhospitalisations de 20–30 % est observée essentiellement chez les patients avec une fraction d'éjection réduite et largement dépendante de l'observance à l'entraînement [6]. L'amélioration des capacités d'effort (paramètre essentiel du pronostic) est constamment observée dans les études randomisées ou de vie réelle [7,8] et s'accompagnent d'une amélioration de la qualité de vie. Pour les patients avec insuffisance cardiaque à fraction d'éjection préservée, des études pilotes ont démontré une amélioration de la capacité d'effort et du remplissage ventriculaire, et deux études randomisées (Ex DHF et OptimEx-CLIN) sont en cours concernant le pronostic dont les résultats sont attendus prochainement.

D'autres pathologies bénéficient de la réadaptation, les preuves scientifiques sont toutefois moins nombreuses : après d'autres indications de chirurgie cardiaque (valves, dissections aortiques, transplantations cardiaques, assistances ventriculaires), cardiopathies congénitales, etc.

Figure 1- Bénéfice de la réadaption dans le post SCA [4].

Figure 1 - Bénéfice de la réadaption dans le post SCA [4].
 

Preuves scientifiques des effets de l'exercice physique

L'exercice physique peut être considéré comme une « polypill » tant ses effets bénéfiques sont importants non seulement pour la sphère cardiovasculaire mais également dans d'autres pathologies (vasculaires, cancers, diabète, etc.).

Les effets de l'exercice sont classiquement regroupés en actions sur les facteurs de risque, sur le coeur et les vaisseaux (coronaires et périphériques), sur le système nerveux autonome, sur le système respiratoire et musculaire auquel s'ajoutent plus récemment les effets anti-inflammatoires, anti-cachexie, épigénétiques et même de protection anti-sénescence.

   Actions sur les facteurs de risque cardiovasculaires « classiques »

La correction de la sédentarité et de l'inactivité physique permet d'améliorer la capacité d'effort (mesurée en METs par une épreuve d'effort cardiopulmonaire ou estimée en watts, durée d'effort, kcalories, etc). Or, la capacité physique est considérée comme le plus puissant marqueur pronostique chez les patients atteints de cardiopathies, comme chez les sujets normaux.

Hypertension artérielle : si la pression artérielle augmente excessivement lors d'un effort, la pratique régulière d'exercices physiques doit faire partie de l'arsenal thérapeutique, permettant une baisse de pression artérielle systolique en moyenne de 5 mm Hg.

Syndrome métabolique et diabète : l'exercice physique (150 minutes par semaine au minimum à une intensité modérée à moyenne) associé à une alimentation équilibrée permet de retarder l'apparition du diabète ; chez les diabétiques, il est essentiel pour assurer un meilleur équilibre glycémique. L'exercice physique doit être plus prolongé pour les patients en surcharge pondérale ou obèses.

Dyslipidémies : si les traitements médicamenteux sont les plus efficaces pour réduire le taux de LDL cholestérol, seul l'exercice physique régulier permet d'augmenter modérément le taux de HDL cholestérol.

Stress : les effets de l'exercice physique adapté sur l'anxiété et la dépression sont clairement démontrés, liés à des interactions complexes entre les centres neurologiques (amygdale), le système nerveux autonome et les vaisseaux (endothélium).

   Actions sur les vaisseaux sanguins

La dysfonction endothéliale est considérée comme la pierre angulaire de différentes pathologies cardiovasculaires. Elle est présente aussi bien dans les pathologies coronaires que dans l'insuffisance cardiaque. L'exercice physique provoque une augmentation du shear stress, celui-ci agit sur les mécanorécepteurs endothéliaux et stimule de la NO synthase (par des mécanismes de phosphorylation, acétylation et couplage/découplage) et donc de la production et la libération locale de NO (vasodilatateur puissant, mais de courte durée d'action) avec également une réduction de la libération des ROS (radicaux libres dérivés de l'oxygène).

Par ailleurs, l'activation de la e-NO synthase, en association avec des facteurs de mobilisation VEGF et des métallo-protéases, est également impliquée dans la stimulation de la production médullaire de cellules progénitrices endothéliales (cellules angiogéniques circulantes) qui sont responsables d'une « réparation » de l'endothélium lésé et de la création d'une néo-angiogenèse (collatéralité). Les mécanismes liés aux effets de l'exercice, à l'échelon du vaisseau et cellulaires, sont maintenant clairement élucidés [9] (Fig. 2).

   Actions sur le système nerveux autonome

L'entraînement physique régulier permet une régulation de la balance sympathique/parasympathique qui se traduit par une fréquence cardiaque moindre au repos et à chaque niveau d'effort. Ainsi, l'exercice améliore les paramètres de variabilité sinusale (SDNN, HF/BF) et le fonctionnement du baroréflexe. Les risques d'arythmie graves sont minorés.

   Actions sur les systèmes respiratoire et musculaire

Au niveau respiratoire, les bénéfices peuvent être résumés à une réduction de l'hyperventilation excessive, une amélioration de l'efficience ventilatoire et à une augmentation de la force des muscles respiratoires. Au niveau musculaire, les améliorations sont fonction du type d'entraînement proposé : amélioration de la force musculaire mais également de l'endurance avec des modifications non seulement du type de fibres musculaires mais également du fonctionnement mitochondrial permettant une optimisation de l'extraction et de l'utilisation de l'oxygène. Certains systèmes régulateurs de l'anabolisme/catabolisme (ubiquitin proteasome system) sont également impactés par l'exercice réduisant les risques de cachexie.

   Actions anti-inflammatoires

La réduction des marqueurs d'inflammation (CRPus, interleukines, TNF) explique en grande partie les effets bénéfiques de l'exercice dans différentes pathologies chroniques, non seulement cardiaques, mais également métaboliques et dans les cancers.

   Actions épigénétiques

Progressivement, la recherche met en évidence la modulation par l'exercice de différents micro RNA (régulateurs génétiques de la production protéique) impliqués dans de nombreuses adaptations dont l'angiogenèse, la biogenèse mitochondriale, la différenciation myogénique et la compliance ventriculaire. Différentes réponses à différents types de stimulations par l'exercice pourraient ainsi expliquer la variabilité de réponses individuelles.

Ainsi, au niveau cardiaque les effets bénéfiques sur ces différents facteurs, permettent une amélioration du fonctionnement cardiaque (actions sur les artères coronaires, sur la vasodilatation périphérique, sur le muscle cardiaque).

Figure 2 - Mécanismes vasculaires et cellulaires de la réadaptation (d'après [9]).

Figure 2 - Mécanismes vasculaires et cellulaires de la réadaptation (d'après [9]).
 

Preuves concernant les autres composantes de la réadaptation cardiaque

La réadaptation cardiaque ne se limite pas à l'entraînement physique ; mais de par sa multidisciplinarité, elle permet également une prise en charge globale. Ainsi, sont regroupés dans un même programme, l'optimisation thérapeutique, le démarrage ou la poursuite de l'éducation thérapeutique, ainsi que des aides et conseils psychologiques et sociales (retour au travail en particulier).

Le temps dédié et les possibilités de monitoring de la réadaptation cardiaque permettent d'optimiser et de personnaliser les thérapeutiques. En effet, concernant les traitements médicamenteux, l'évaluation de la tolérance globale et dans la vie courante (effort, rythme de vie) permet la personnalisation et ainsi améliore l'observance à long terme. La titration des différentes drogues selon les recommandations internationales se trouve facilitée par une surveillance étroite.

Le programme d'éducation thérapeutique (ETP) proposé aux patients est une obligation réglementaire et soumise à validation dans les programmes de réadaptation cardiaque. Pour beaucoup de patients, en post-évènement aigu, il s'agit d'initier la démarche éducative qui pourra ensuite être poursuivie en chronique ; parfois, il s'agit de renforcer et d'approfondir des acquisitions. Cette démarche individualisée, a démontré une amélioration des connaissances, de l'observance comportementale avec des effets bénéfiques sur les facteurs de risque
et, selon les pathologies, le pronostic (réduction des ré hospitalisations après SCA ou décompensation cardiaque).

Enfin, les aides psychosociales semblent essentielles au regard des impacts pronostiques des troubles psychologiques et du niveau socio-économique. À ce titre, la prise en charge psychologique se place en deuxième position après l'entraînement physique chez les patients coronariens. Enfin, le retour au travail est reconnu comme un des marqueurs de santé et des recommandations européennes récentes proposent des organisations en réadaptation pour permettre l'évaluation et les conseils pour une reprise dans les meilleures conditions.

Preuves concernant les différentes types d'organisation de la réadaptation cardiaque

Différents modèles de réadaptation cardiaque sont actuellement disponibles et développés dans différents pays, selon les besoins des patients et les systèmes de santé. En effet, malgré les recommandations internationales, un trop faible nombre de patients éligibles ont accès à la réadaptation cardiaque (Fig. 3).

En France, seuls environ 30 % des post-SCA (avec des disparités régionales importantes), moins de 20 % des insuffisants cardiaques peuvent bénéficier de cette prise en charge, essentiellement en raison du manque de lits et places pour les accueillir. Cette constatation doit conduire à une révision de nos pratiques, tant sur la stratification des besoins que dans l'organisation de soins adaptés à la condition de chaque patient. Il paraît ainsi logique de réserver l'hospitalisation complète pour les patients nécessitant une surveillance cardiologique rapprochée et de favoriser la prise en charge ambulatoire dès que possible. Parmi ces prises en charge ambulatoires, l'hospitalisation de jour est le modèle à privilégier dans notre pays ; les résultats des registres de FAST-MI montrent qu'elle est en constante progression. Les modèles de réadaptation à domicile sont proposés dans certains pays par déplacement à domicile de professionnels (IDE, kinésithérapeutes) ou des programmes écrits et données aux patients ; mais ils ne remplissent pas

les prérequis de la réadaptation cardiaque de phase II en France ; ils pourraient être utiles en phase III. En revanche, le développement de la télé-réadaptation en alternative, en complément (modèle hydride) ou après réadaptation est probablement très prometteur. Les études publiées à ce jour montrent que ces programmes (le plus souvent télé-monitoring) sont faisables, bien acceptés par les patients, et semblent efficaces sur les critères de capacité d'effort et de qualité de vie. En France, de nombreux protocoles sont en cours ou prévus et devraient permettre d'en évaluer l'efficience. Les quelques études qui ont évalué le rapport coût–bénéfice semblent montrer un bénéfice pour les programmes de télémédecine après réadaptation classique de phase II, sans différence de coûts quand on compare la réadaptation classique au télé-monitoring (sauf en zone rurale en raison d'une diminution des frais de transport). Nul doute que l'évolution technologique permettra d'adapter les différents protocoles de prise en charge en incluant les différentes composantes de la réadaptation cardiaque.

Figure 3 - Pronostic avec ou sans réadaptation (Eur Heart J 2015;36:1519–28).

Figure 3 - Pronostic avec ou sans réadaptation (Eur Heart J 2015;36:1519–28).

Quelques questions en suspens

Les données actuellement disponibles concernent des populations classifiées selon leur pathologie cardiaque. Les apports de la réadaptation cardiaque pour chacun d'entre elles méritent d'être plus étudiés en particulier pour des populations émergeantes tels que les cardiopathies congénitales adultes, les différents types d'insuffisance cardiaque, ou avec de nouveaux types de traitements innovants.

Concernant l'exercice physique, il existe une variation interindividuelle de l'efficience qui reste à éclaircir : il s'agit de préciser les phénotypes et génotypes des patients qui seraient plus ou moins répondeurs (les non répondeurs étant associés à un moins bon pronostic). En effet, la réponse à différents types d'entraînement en lien avec leur condition hémodynamique, respiratoire, musculaire mais également métabolique,
immunologique et (epi) génétiques sont actuellement les voies de recherche en cours dans le but d'optimiser les indications et les bénéfices [10].

Enfin, le développement de l'utilisation de « big data » devraient pouvoir aider à améliorer les pratiques ; ceci suppose une collaboration large et structurée entre les différents centres de réadaptation cardiaque.

    EN PRATIQUE   

En France, un trop faible nombre de patients éligibles ont accès à la réadaptation cardiaque.

 

Références

[1] Ibanez B, James S, Agewall S, et al. 2017 ESC Guidelines for the management of acute myocardial infarction in patients presenting
with ST-segment elevation. Eur Heart J 2018;39:119–77.

[2] Ponikowski P, Voors A, Anker S, et al. 2016 ESC Guidelines for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failure. Eur
Heart J 2016;37:2129–200.

[3] Anderson L, Oldridge N, Thompson DR, et al. Exercise-based cardiac rehabilitation for coronary heart disease: cochrane systematic review and meta-analysis. J Am Coll Cardiol 2016;67:1–12.

[4] Puymirat E, Bonaca M, Iliou MC, et al. Outcome associated with prescription of cardiac rehabilitation according to predicted risk after acute myocardial infarction: insights from the FAST-MI registries. Arch Cardiovasc Dis 2019;112:459–68.

[5] Kabboul N, Tomlinson G, Francis T, et al. Comparative effectiveness of the core components of cardiac rehabilitation on mortality and morbidity: a systematic review and network metaanalysis. J Clin Med 2018;7. http://dx.doi.org/10.3390/jcm7120514.

[6] Taylor R, Long L, Mordi I, et al. Exercise-based rehabilitation for heart failure: Cochrane Systematic Review, meta-analysis, and trial sequential analysis. JACC Heart Fail 2019;7:691–705.

[7] Bjarnason-Wehrens B, Nebel R, Jensen K, et al. Exercise-based cardiac rehabilitation in patients with reduced left ventricular ejection
fraction: the Cardiac Rehabilitation Outcome Study in Heart Failure (CROS-HF): a systematic review and meta-analysis. Eur J Prev Cardiol 2019. http://dx.doi.org/10.1177/2047487319854140 [2047487319854140].

[8] Scalvini S, Grossetti F, Paganoni AM, et al. Impact of in-hospital cardiac rehabilitation on mortality and readmissions in heart failure: a population study in Lombardy, Italy, from 2005 to 2012. Eur J Prev Cardiol 2019;26:808–17.

[9] Schuler G, Adams V, Goto Y. Role of exercise in the prevention of cardiovascular disease: results, mechanisms, and new perspectives. Eur Heart J 2013;34:1790–9.

[10] Gevaert AB, Adams V, Bahls M, et al. Towards a personalized approach in exercise-based cardiovascular rehabilitation: how can translational research help? A 'call to action' from the Section on Secondary Prevention and Cardiac Rehabilitation of the European Association of Preventive Cardiology. Eur J Prev Cardiol 2019. http://dx.doi.org/10.1177/2047487319877716 [2047487319877716].